Sénégal : Habré sa perpétuité, Deby sa roue libre

Article : Sénégal : Habré sa perpétuité, Deby sa roue libre
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31 mai 2016

Sénégal : Habré sa perpétuité, Deby sa roue libre

Les Chambres africaines extraordinaires (CAE), sous la présidence du juge Gberdao Gustave Kam, ont condamné hier lundi 30 mai 2016, l’ancien Président du Tchad. Hissène Habré écope d’une peine d’emprisonnement à perpétuité pour crimes contre l’humanité, crimes autonome de torture, viol, traitement inhumain, esclavage forcé, exécution sommaire, entre autres. Mais ses biens ne seront pas confisqués. Il a 15 jours pour interjeter appel.

Evoquant la responsabilité de l’accusé, le tribunal note que Hissène Habré avait une « connaissance intime et étendue des crimes » commis durant son règne. Il était « membre de cette entreprise criminelle ».

Les Chambres ont estimé que les circonstances aggravantes l’emportent largement sur les circonstances atténuantes. Jugé pour crimes contre l’humanité, crimes de guerre et actes de torture, l’accusé a aussi été reconnu coupable d’avoir commis à 4 reprises des crimes de viol.

Ce procès, ouvert le 20 juillet 2015 devant les CAE, a duré 56 jours, et vu défiler 93 témoins. Le tribunal spécial a auditionné des experts, des témoins et une personne citée à témoin par les avocats de la défense.

La prison à perpétuité ou prison à vie est une sanction pénale pour les crimes les plus graves, qui consiste théoriquement en l’incarcération d’un criminel jusqu’à sa mort. Dans la pratique, tous les pays au monde admettent des libérations pour raisons de santé sérieuses, mais la possibilité d’un aménagement de la peine n’est pas universelle. Un certain nombre de pays fixe une période au-delà de laquelle un condamné est éligible à certains aménagements de peine (durée comprise entre sept et cinquante ans). Mais d’autres pays continuent (ou ont décidé à la suite de l’abolition de la peine de mort, ou pour en limiter l’application) d’appliquer la prison à perpétuité « à la lettre », c’est-à-dire sans possibilité de réinsertion. Il s’agit alors de perpétuité réelle ou de perpétuité incompressible.

Dans tous les pays ayant aboli la peine de mort, la perpétuité (et en particulier la perpétuité réelle, qui s’impose de plus en plus) constitue le châtiment suprême alternatif. Peu nombreux sont les pays qui ont aboli l’une et l’autre de ces deux peines.

« L’ouverture du procès de Hissène Habré, 25 ans après sa fuite du Tchad, est un hommage aux survivants de son régime brutal qui n’ont jamais abandonné la lutte pour la justice », a déclaré Reed Brody, conseiller juridique à Human Rights Watch. Cet avocat américain défenseur des droits de l’homme, travaille avec les survivants depuis 1999.

Ce procès a été  le premier au monde où les juridictions d’un État ont jugé l’ancien dirigeant d’un autre État pour des  violations des droits humains.
Ces Chambres ont été inaugurées par le Sénégal et l’Union africaine en février 2013 afin de poursuivre « le ou les principaux responsables » des crimes internationaux commis au Tchad entre 1982 et 1990, quand Hissène Habré était au pouvoir. A la tête de cette Chambre d’Assises, le burkinabè Gberdao Gustave Kam, aux cotés de deux juges sénégalais.

Hissène Habré, par la voix de ses avocats, a fait savoir qu’il ne voulait pas assister aux audiences. Cependant, en vertu de la procédure sénégalaise, le Président de la Cour peut l’obliger à comparaître. M. Habré a comparu de force devant les CAE, en refusant de répondre aux questions des juges et n’hésitant quelquefois pas à commettre des incidents d’audience.

« J’attends ce jour depuis ma sortie de prison, il y a près de 25 ans » a déclaré Souleymane Guengueng, qui a vécu pendant près de trois ans dans les prisons sous le régime de l’ex président  Hissène Habré. Il a créé l’Association des Victimes des Crimes du Régime de Hissène Habré (AVCRHH). « Ce verdict est un couronnement  pour nous victimes du régime Habré, nous qui avons été sacrifiés, humiliés, torturés », a déclaré lors d’une conférence de presse Clément Abeifouta.

Sous le régime Habré, des milliers d’assassinats politiques ont été perpétrés et la torture utilisée de manière systématique.

Habré est  au Sénégal depuis sa chute. Il a été renversé par l’un de ses plus proches collaborateurs, Idriss Deby.

Habré a été  arrêté une première fois au Sénégal en février 2000, mais le Sénégal avait  refusé  de le poursuivre ou de l’extrader en Belgique en 2005. Avec l’arrivée de Macky Sall au pouvoir  en 2012 , les choses ont évolué. La Cour internationale de Justice a demandé  au Sénégal de poursuivre en justice ou d’extrader Habré, ce qui a conduit d’ailleurs à la création des Chambres africaines extraordinaires. Celles-ci ont inculpé Habré en juillet 2013 et l’ont placé en détention provisoire. Après une instruction de 19 mois, les juges ont conclu qu’il y avait suffisamment de preuves pour que Habré soit jugé.

Habré  ‘démon’, Deby  ‘ange’ ?

Pur produit de l’armée, Idriss Deby Itno s’est révélé à la face du monde à coté du président Hissène Habré en tant que Commandant en chef des Forces armées du nord (FAN) pendant la rébellion contre le président Goukouni. Goukouni chassé du pouvoir, Deby installe Habré à la tête du Tchad et se fait nommer colonel. Nous sommes en 1982. Conseiller à la défense et la sécurité du président Habré, Deby dirige le commissariat aux armées et à la sécurité du parti-Etat, une organisation qui contrôle la fameuse Direction de la documentation et de la sécurité (la DDS),  devenue célèbre par la série d’arrestations, de tortures et d’exécutions sommaires – d’opposants et autres citoyens. Il n’a jamais été inquiété durant tout le procès, malgré les interrogations des uns, des autres. Dans les locaux du tribunal, certains ont soutenu que Deby ne peut pas rejeter sa responsabilité dans les massacres sous le régime de Habré en tant que plus proche collaborateur. Sera-t-il rattrapé par son passé après sa chute ? L’avenir nous le dira.

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